Brane Mozctič (né en 1958)

A obtenu son diplôme de littérature comparée à l'université de Ljubljana et a suivi un cours de perfectionnement à Paris. Maintenant il vit à Ljubljana, où il est rédacteur du gay magazine Revolver.
A côté du livre d'histoires brèves Pasijon (La Passion, 1993), ila publié les livres de poèmes suivants :
- Soledadesi (1978)
- Pesmi in plesi (Chants et danses, 1982),
- Modrina Dotika (Le blues du contact, 1986)
- Zaklinjanja (Conjurations, 1987)
- Mreza (Le filet, 1989)
- Obsedenost (L'obsession, 1991, qui a paru en version slovéno-française)
Il a rédigé aussi une anthologie de la prose et de la poésie gay Slovène et publié des traductions des livres d'Arthur Rimbaud, Jean Genêt et Michel Foucault.
Il a obtenu le Prix de la Ville de Ljubljana pour la poésie et l'European Poetry Prize-Falgwe.

Traduit du slovène par Polona Tavcar et William Clif

 

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Quand la ville n'est pas encore endormie et les rues vides - ne vas pas
dans la forêt, ne va pas dans la forêt, là n'est pas ta forteresse
même le plateau ne l'est pas, peut-être les sacs poubelles répandus
la marque d'un gîte, peut-être une sirène d'alarme tardive au-dessus les toits
ce n'est pas pour le départ, car la mer est loin, trop loin et n'est pas
la tienne et tu peux seulement avoir peur en sortant dehors vêtu
en habit serré qui n'est pas le tien, quand ce n'est pas toi -
vas-y déshabille-moi tout en entier, qu'attends-tu, notre forêt
regorge de zombies, de monstres qui ne me
toucheront pas, toi non plus, même si nous désirons la mort
il ne nous fend pas, seulement des larmes sur
le sol, l'escalier et dans la rue, en bas, encore plus bas
jusqu'aux bottes de notre commandant -
quand la nuit tombe, tu es seul et tu essaies de transformer la couverture
en homme chaud, tu extirpes de toi des fils
d'oubli que les avions troublent, tombant de plus en plus
bas, il pleuvra, il pleuvra ; tiens-toi au filet
fermement, pour que tu ne t'enfuies pas, pour que tu ne pénètres pas dans la forêt
jamais, ne va pas dans la forêt la nuit, ni le jour
ton espoir serait tué, ton espoir serait tué.

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Dans la cellule il y a une chaise vide, en bois.
Du plafond tombe une lumière blanche de néon
il n'y a pas de fenêtre, ni lucarne dans le mur, dans la porte
peur-être dans un coin un œil observe, en haut
nous deux, assis, nous nous sentons à travers la coupe rêche
nous ne connaissons plus le temps, ni la faim et ni la soif,
ni l'air, la peau presque transparente
notre liberté est infinie
nous pouvons faire l'amour, crier, avec
les dents déchirer nos corps ou bien juste
regarder le néon, les deux lampes à pétrole presque
vides, poussiéreuses au grenier -
au milieu de la cellule il y a une chaise, dessus
une matraque noire luit, glissante,
nous sommes accroupis chacun dans un coin, nus
l'espace est de plus en plus petit, de plus en plus clair.

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Je désire des baisers encore et encore, les convulsions
des corps entrelacés, encore la marche lente
à travers la forêt, rêvant que
tous est autrement, encore de la langueur dans
l'étincellement des images inventées
- ce matin j'ai fait un cauchemar, sur la force,
sur la violence, sur la renonciation à la vie
je me suis levé, je suis allé tout étourdi jusqu'aux couteaux
j'ai regardé longtemps, vide, comme essoré
puis je me suis assis, j'ai pensé à l'irréel
encore et encore je voulais tomber dans
la jouissance éternelle de l'abandon, dans la peau
dans le regard chaud, dans l'effleurement
- j'ai déchiré la longue liste des accessoires
pour l'assaut, pour le combat, la défense
j'ai versé de l'eau et je l'ai bue, doucement
longtemps comme d'ici jusque-là.

****

Il se fait jour et je continue à t'embrasser
la peau, de rosée, nette, qui sous la langue
s'éveille encore -je me lève à côté de toi
et je ne peux pas me lasser de regarder la beauté
en ces rayons bleuâtres du matin
des poils noirs, à l'oreille je te souffle des mots
les plus savoureux et excitants, que puis-je
faire de plus avec ma vie qu'aimer
je me tords en travers de toi avec toute la faiblesse
d'énergie, épuisé déjà, mais je persiste, au soleil
c'est encore plus beau de caresser, de flatter les mains
les pieds échauffés, mordre les épaules, les seins
se replier avec la tête entre les jambes et
arracher la volupté, j'entends tes cris
tu es là encore, reste, il n'est pas temps
la mort peut attendre - quelle jouissance de la douleur
quand je pénètre en toi, tu te couches sur moi
je te sens et serre contre moi, on est tout
dans la sueur, le frisson, la chaleur, dans la salive,
la glaire, tout dans les corps, dans l'amour.

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Quels sont les liens que tu formes, quelles
racines, il n'y a rien, rien, tout passe
et ta langue est sans effets, ton sourire sans bonheur,
tout désolé, dans l'horreur d'être, des recherches,
tu découvres maintenant la vraie image lorsque
tu as écarté les couches des siècles et au-dessous
la course sans fin à travers les champs, les bois,
la recherche des aliments et des contacts corporels
et la solitude, quand l'éclair te chasse
quand les peuples inconnus te suivent avec les lances
et une grêle de pierres te terrasse,
balafré, voulant encore vivre
regarder les oiseaux mystérieux qui survolent le marais
s'étonner de cerfs sveltes, les chasser
sentir la douceur de la boue sur le pied et aimer
des femmes, des hommes, élever des enfants
n'oublier pas tout cela encore
ne cesser de glisser d'un terrain
d'un corps ailleurs, quelque part,
toujours seul, quand le pays t'est inconnu
et quand tu vois des visages pour la première fois
- toi, seul, le vrai, sans mensonge.

****

Quand le samedi après-midi tu dors en travers du lit
et quand le soleil caresse ta peau avant qu'il
soit submergé dans la mer, je me fais aimer contre ton épaule
avec la main je lisse ta poitrine, alors que me saisissent
les tressaillements, le frisson, les soupirs me poussent dans la
démence
et je ne m'efforce plus d'être calme, ou sobre...
sur ton ventre des poils doux, ce muscle
sous ta tête, dans ta main soudainement un couple
d'êtres glissants, froids, en forme de prunes
à côté du membre, qui fatigué s'est renversé
sur la hanche, désirant la chaleur de la bouche, de la cavité
tu me regardes, tu ris, quand tout mouillé
je m'étends vers ces pieds, vers ce torse, vers ces yeux
et cette pression de la passion, j'halète à peine
et la pulsion crève sur les seins et la tête cuit tellement
que je serais projeté par terre et heurterais
et rebondirais sur le sol, foudroyé, calme.

****

O blanc que j'aime et qui es ma passion et ma mort
blanc qui t'étends comme de longues couronnes d'écume dans la rivière
qui passes de l'éjaculation jusqu'à l'écorce fine, toute
sèche, écailleuse, blanc en craie, en feu,
blanc en glissement plus bas, plus profond,
à la tension du corps qui croît, svelte,
dans le rythme des esclaves, des anciens pousseurs de bateaux,
dans la sueur qui coule sans cesse, blanc comme les contes
maudits et les pièges de la fin, comme le tannage
de la cendre grise, un léger vent nocturne, blanc en élévation suprême
de la membrane quand la main se lève à peine et l'oeil
remarque des ombres, quand le corps ne peut plus tenir
et qu'il secoue seulement ses membres, sang blanc, lune blanche,
sanglotement long au printemps, où es-tu blanc, que je te puise
dans mes paumes, que tu ne te perdes entre mes doigts,
dans les pores, dans la terre, dans le vent, où es-tu blanc ?
où cet isolement en évaporation, d'ici, de maintenant,
prends, blanc, viens, étreins-moi en toi,
verse-moi comme de l'eau, blanche, sèche.

****

Hier ils ont dressé un lit dans une chambre spéciale
ils m'ont déshabillé et enfermé une femme nue avec moi
j'ai senti son haleine chaude contre ma hanche
et d'innombrables yeux verts dans la douce lumière
qui épiaient les gestes, les pensées, les rêves,
une autre fois ils ont amené un fringant jeune homme
à peau luisante et membres solides et ils ont attendu
ah, sueur, cette peur, ces cris en moi et
derrière, des fils électriques, une chaise, une théière -
finalement je me suis serré contre un cerf chaud
qui ne respirait plus, seulement du sang coulait encore
de ses veines, de temps en temps un de ses muscles
tressaillait, l'odeur de la forêt était
encore sur lui, de la terre humide sur ses sabots,
je restais collé à lui et j'attendais, j'attendais,
des yeux toute la nuit par les lucarnes nous ont scrutés.

****

Toujours plus de vie augmente la douleur
aiguë, en constante agglomération dans les rues,
avec de longues promenades main dans la main
par les forêts, nager lentement dans la rivière
dont tu sens les berges et dont tu ne peux pas t'opposer
au courant. Il y a plus de baisers, plus d'adieux, plus
de mots, de mensonges, plus d'incertitude
dans les pas, moins de possibilités de reculer,
moins d'espoir, de moments clairs.
Rivière, ta force monstrueuse, immense...
Tu me mouds dans les pierres
et me craches à la mer, aux poissons
aux baigneurs, ta douleur, plus large
plus profonde, sombre, se mêle avec le sel, acide
qui ronge le corps, les derniers morceaux
d'une vie libre, luxuriante
qui creuse son espace à la détresse, constante.

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Au téléphone seulement le halètement des autres, des cris
ardents et tu restes comme toujours, encore
alors quand tu t'es aveuglé dans la hâte -
calme tu arranges tes pensées, parfois tu plantes
un arbre, nourris une bête et tu n'en attends
plus rien, que la fin
l'arbre se dresse, s'écroule sur tes épaules
la bête s'enorgueillit, te mord la main
n'attends plus rien - l'être t'embrasse
mais tu sais que tu n'es pas son but
il chasse sa peur, la botte fait
son devoir, le fusil son songe,
au téléphone des cris de mort, les cordes
tressées dans la main, la phrase vide dans la gorge -
tu es calme, dans l'averse, dans le soleil tu vois
que les constellations sans nous avancent au loin
que les mots magiques seuls dérangent le cerveau.